S’inscrivant dans le prolongement de l’épopée homérique, Apollonios ne peut manquer d’avoir à l’esprit une tradition de héros qui se sont notamment illustrés dans les épisodes fameux des jeux funèbres en l’honneur de Patrocle ou des jeux de divertissement chez les Phéaciens. [1] Or il apparaît pour le moins étrange que, dans les Argonautiques, le seul récit qui s’apparente à une épreuve athlétique, l’affrontement au pugilat entre Pollux et Amycos, ne soit pas l’apanage du héros principal. Sans doute des érudits ont-ils noté, dans l’épreuve que mène Jason au chant III, des allusions à caractère sportif? Nous nous proposons toutefois, à la lecture de l’ensemble du texte, de mettre au jour un réseau de références, de modèles et de métaphores qui donne plus de vigueur à l’image sous laquelle apparaît Jason, qui lui donne aussi plus de résonance en l’inscrivant dans le prolongement de ces héros homériques qui savent témoigner de qualités militaires et athlétiques dignes de mémoire. Ainsi, à défaut de récit de jeux permettant l’expression des talents de Jason, la représentation en athlète s’affirme dans l’épreuve du chant III, essentielle à la manifestation du héros; l’apparition dans la plaine d’Arès « le corps nu » y trouve tout son sens.
D’une épreuve à l’autre
En se lançant dans l’expédition pour la conquête de la toison d’or, les Argonautes sont destinés à essuyer bien des épreuves. À parcourir les occurrences des mots de la famille d’ἄεθλος, [2] en les complétant par les passages qui, sous d’autres termes, évoquent un thème similaire, nous voyons Apollonios entraîner ses héros, tout au long du récit, d’une épreuve à l’autre. Dès l’ouverture, c’est l’expédition maritime qui s’affiche, sous l’aspect d’une navigation hautement périlleuse, comme la première épreuve (ἄεθλον … ναυτιλίης [3] ), et, en l’absence du substantif qui complète le nom, c’est en ce sens qu’il faut entendre la mention des travaux qui attendent les héros, du moins jusqu’au passage des Symplégades. [4] En effet, s’il s’agit là de franchir un obstacle majeur dans la traversée, c’est également lors de cette étape que les épreuves à venir prennent un tour nouveau, comme l’a prédit Phinée, car leur issue glorieuse dépend de « l’aide de l’artificieuse déesse Cypris »; [5] un auxiliaire inattendu se fait jour. Puis une fois les Argonautes parvenus chez les Colques, l’épreuve elle-même change de nature, car emporter la toison d’or devient une épreuve sous condition d’une autre épreuve, celle qui est exigée par Aiétès, et que le roi des Colques est le seul jusque-là à pouvoir accomplir: [6] le terrible labour mené avec deux taureaux aux pieds de bronze qui soufflent le feu, suivi de la moisson des guerriers nés des dents du dragon semés. Telle est l’épreuve que Jason accepte d’emblée— même si d’autres héros se montrent ultérieurement prêts à la tenter—, et dont Apollonios ménagera le récit à la fin du chant III, en un épisode encadré par le terme ἄεθλος qui présente la geste du héros. [7] Or l’ouverture: « avec sa lance et son bouclier, il marchait au combat, » [8] donne à l’épreuve un tour guerrier; nous verrons qu’une fois achevée, l’épreuve aura également permis au héros de manifester des qualités athlétiques [9] que préparent, au cours des Argonautiques, les diverses mentions de ce type d’épreuves qui s’inscrivent dans la tradition épique.
Ainsi les héros trouvent-ils, au cours de l’expédition, à se divertir dans des jeux, comme le font les héros homériques, [10] mais plus nombreuses sont les références à des jeux funèbres. Il est fait mention des épreuves athlétiques organisées en l’honneur du roi Kyzikos, tué par mégarde par Jason, et auxquelles participent les Argonautes, [11] mais la référence à ce type de jeux prend un tour plus personnalisé dans le cas d’Héraclès: au détour d’une phrase rappelant que le héros tua les fils de Borée qui s’étaient opposés à sa quête d’Hylas, il est dit qu’il accomplit sa vengeance lors de leur retour des jeux funèbres en l’honneur de Pélias. [12] Plus nettement, Héraclès est désigné lui-même comme participant à des concours de cet ordre: Lykos, roi des Mariandynes, rappelle la victoire qu’aux jeux funèbres en l’honneur de son frère Priolas, Héraclès remporta contre le puissant Titias, à qui il fit cracher toutes ses dents—précision qui traduit la force et la violence caractéristiques du héros. [13] En effet, celui-ci, assez tôt écarté de la narration centrale, ne laisse pas de se signaler, au gré d’allusions, par son aptitude à surmonter les épreuves; les mentions des douze travaux (ἄεθλος) qu’il a interrompus pour rejoindre l’expédition des Argonautes, et que sa sortie de l’expédition lui permettra de mener à terme, en sont une illustration. [14] D’ailleurs, à parcourir ces références aux jeux, nous notons qu’elles sont plutôt orientées vers Héraclès, même de manière détournée, sans s’attarder sur de légendaires concours auxquels Jason a pourtant participé. En effet, les nombreux documents iconographiques qui, depuis le VIème siècle avant J.-C., illustrent les jeux funèbres en l’honneur de Pélias auxquels participèrent les Argonautes, témoignent de la popularité de cette séquence. [15] Sans doute les témoignages littéraires qui sont parvenus jusqu’à nous sont-ils restreints, mais Athénée laisse entendre qu’Homère avait donné une version de ces jeux, et il cite le fragment de Stésichore qui mentionne certains des participants. [16] À observer donc le premier—qui est aussi le plus complet—témoignage iconographique: le coffre de Kypsélos, nous y voyons représentés des héros qui, dans le récit d’Apollonios, ne sont pas sans lien avec l’univers athlétique: dans l’épreuve de lutte, Jason s’affronte à Pélée; parmi les concurrents à la course de chars, figure Pollux; quant à Héraclès, il est représenté sur ce document en juge de l’épreuve. Le fragment de Stésichore, qui précise également l’identité de certains participants, cite les Dioscures comme concurrents de la course de chars. Ne nous laissons pas toutefois abuser par la présentation de ces deux exemples, car l’examen de l’ensemble des témoignages iconographiques et littéraires révèle de nombreuses variations dans l’identité des concurrents; tel est le cas pour l’épreuve de lutte— motif qui a le plus attiré les artistes [17] —, même si la compétition entre Pélée et Atalante est le sujet le plus illustré, sans doute parce qu’il met en jeu la seule femme admise à concourir dans un univers agonistique éminemment masculin. [18] Or Atalante, nous y reviendrons, est mentionnée dans les Argonautiques lors du séjour chez les Lemniennes. [19] C’est en ce pays de Lemnos, d’ailleurs, que prennent place d’autres jeux auxquels auraient participé les Argonautes, si l’on en croit notamment le témoignage de Pindare dans la quatrième Pythique. [20] L’allusion est brève, bien que le séjour en ce lieu soit important pour l’ordonnance de l’ode triomphale: Pindare a choisi le mythe de la conquête de la toison d’or afin de rapporter, en l’honneur du vainqueur, les origines de la maison royale de Cyrène et de son ancêtre Euphamos, l’un des compagnons de Jason, qui s’était uni à la Lemnienne Malaché. Allusion brève donc chez Pindare, qui prend place dans la partie du retour de l’expédition; Apollonios fait lui un récit circonstancié de l’escale à l’aller chez les Lemniennes, mais il ne fait pas mention de concours.
Dans l’épopée d’Apollonios, force est donc de constater que l’évocation des jeux reste éparse et succincte eu égard aux grandes séquences homériques, alors que des poètes épiques ultérieurs comme Quintus de Smyrne ou Nonnos de Panopolis apprécieront les jeux funèbres du chant XXIII de l’Iliade comme un enjeu de réécriture du modèle. [21] Même la mention des célèbres jeux funèbres en l’honneur de Pélias, qui sont au cœur de la légende des Argonautes, se limite à un jalon d’ordre chronologique. Ce n’est pas toutefois que les Argonautes, comme tout héros digne d’être chanté, soient exempts d’épreuves, nous l’avons vu, et les références athlétiques du texte concourent à recréer un environnement agonistique de nature épique, celui des travaux que doivent assumer, sur tout terrain d’affrontement, les héros. En ce sens, l’épreuve de Jason au chant III apparaît comme le point d’orgue de celles qui sont traversées par les Argonautes; nous pouvons de plus remarquer que le terme ἄεθλος n’est pas employé dans le récit de la navigation de retour, si ce n’est pour évoquer des épreuves passées, et Apollonios note en conclusion qu’après le départ d’Égine—où se tient un concours de course d’amphores [22] —, il n’y a plus d’ἄεθλος. [23] L’épreuve de Jason résonne donc comme un épisode essentiel de la légende, et les allusions athlétiques qu’Apollonios dépose, certes avec parcimonie, dans le cours antérieur du récit, pourraient préparer l’entrée en lice du héros. Il s’agit également d’un épisode singulier, du fait de l’aide féminine qui s’y exprime, par l’entremise de Médée, sous l’égide de Cypris, avec également la contribution d’Hécate. [24] Idas laisse, avec colère, éclater sa réprobation face à la confrontation entre Arès et Aphrodite— symboles de virilité et de féminité—dans laquelle se trouvent ainsi placés les héros. [25] Telle est pourtant la singularité de cette épopée, et l’étape chez Hypsipylé, qui par bien des accents annonce la rencontre avec Médée, offre au héros l’occasion de donner à voir des images annonciatrices de l’épreuve à venir.
Une épreuve programmée …
Pour paraître devant la reine, Jason revêt un manteau couleur pourpre flamboyant, [26] dont l’ornementation est décrite par Apollonios en une ecphrasis qui a été mise en relation avec celle des boucliers d’Achille et d’Héraclès. [27] Parmi les différentes scènes brodées, nous nous arrêterons sur certaines qui ont une valeur programmatique pour l’épreuve à mener au chant III. [28] Nous voyons ainsi l’illustration d’une étape des jeux organisés par Oinomaos pour départager les prétendants de sa fille Hippodamie: Pélops mène son char avec la jeune fille à ses côtés, laissant derrière lui le véhicule qui, conduisant Oinomaos et son serviteur Myrtilos, se brise au moment où le père allait tuer de sa lance le héros. [29] Il s’agit d’une illustration de ces concours organisés pour les prétendants, et dont une femme est l’enjeu, qu’atteste la tradition. [30] Derrière la figure de Pélops, se profile celle de Jason qui, à l’issue de l’épreuve posée comme un défi par Aiétès, emportera la princesse, si ce n’est sur son char, du moins sur la poupe de son navire, [31] et l’épousera ultérieurement. Or c’est l’étape du concours que le poète a choisi d’illustrer sur le manteau, et non celle d’une union légitimée, alors que les modèles des ecphraseis homérique et hésiodique montrent des images d’hyménées. Sur le bouclier d’Héraclès, figure une cité humaine en fête, accompagnant de chants et de danses le cortège d’une épouse menée sur un char vers la demeure de son époux, [32] et si l’environnement agonistique est mentionné, il est d’une autre nature puisqu’à l’issue de l’évocation de scènes pastorales, sont décrits des jeux avec épreuves de lutte, pugilat, courses de chevaux et de chars, qui à l’évidence contribuent à l’ambiance festive de l’ensemble. [33] Sur le bouclier d’Achille, figure également une cité au temps des noces, avec des épousées menées en cortège à travers la ville qu’animent chants et danses. [34] Avec ces modèles d’ecphraseis à l’esprit, Apollonios a donc choisi d’évoquer non pas le temps des noces et de la fête qui l’accompagne, mais celui d’une épreuve où s’affirme Pélops en ravissant à son père la fille qu’il pensait ne jamais donner à un prétendant, sûr du déroulement de la compétition qu’il a machinée. Dans le choix de cet épisode légendaire, c’est l’enjeu de l’épreuve à venir et le rôle qu’y tient le héros qu’annonce Apollonios, anticipant avec le duo Pélops-Hippodamie sur celui de Jason-Médée. Or le choix du motif athlétique n’est sans doute pas sans rapport avec la coloration de l’épreuve du chant III. Les notations guerrières ne le sont pas moins. Ainsi en est-il dans la description d’un motif précédent: la déesse de Cythère se mirant dans le bouclier d’Arès qui lui sert de miroir, et qui reproduit à l’identique son image. [35] Comment ne pas voir là le signe anticipé du type particulier d’épreuve qu’accomplira Jason, aux accents guerriers, notamment lors de la funeste moisson des fils de la terre, mais avec l’appui de Cypris relayée par Médée? [36] La scène qui suit, dans la description du manteau, a des accents similaires puisque nous voyons deux peuples se battre pour des bœufs qui se trouvent au pâturage; « Du sang des combattants ruisselait la prairie humide de rosée, » [37] dit le poète, image dont nous retrouvons l’écho à l’issue du combat engagé par Jason contre les fils de la terre: « De sang s’emplissaient les sillons comme les canaux de l’eau d’une fontaine. » [38] Vient ensuite, dans l’ecphrasis, la course de Pélops, qui est encadrée par des images aux tonalités violentes puisqu’elle est suivie de la représentation du tout jeune Apollon lançant une flèche contre le géant Tityos. [39] Or non content de se signaler comme un important appui dans l’expédition des Argonautes, [40] Apollon, nous le verrons, est une des figures à laquelle se trouve comparé Jason lorsqu’il marche au combat au chant III. [41]
Apollonios s’inscrit donc dans une tradition d’ecphraseis d’objets caractéristiques de héros fameux, Achille et Héraclès, tradition qu’il réinterprète et modèle conformément à la spécificité de sa trame épique. Notons tout d’abord qu’à la description d’armements succède dans l’épopée hellénistique celle d’un manteau, revêtu pour paraître devant une femme. Ce manteau a été donné au héros, il est vrai, par une déesse, Athéna, au moment même, dit le texte, où elle supervisait la construction de la nef Argô. [42] Aussi n’est-il pas étonnant d’y voir incrustés des éléments qui dévoilent l’objet de la mission du héros et la nature de son épreuve, aux différents accents agonistiques: athlétiques et guerriers, avec une collaboration féminine affichée. [43] Si des éléments violents apparaissent, aux côtés de scènes de paix ou de liesse, dans la description des boucliers d’Achille et d’Héraclès, ils sont retravaillés par Apollonios, dans l’ecphrasis du manteau, dans une visée programmatique. Mais avant l’épreuve du chant III, il est des figures emblématiques qui préparent la mise en scène de Jason.
… avec passage de témoins
Apollonios met en valeur, dans des récits de plus en plus circonstanciés, les épisodes dans lesquels un héros s’illustre à titre personnel: tour à tour Héraclès, Pollux ou Jason, qui témoignent d’exploits accomplis face à des adversaires qui ne sont pas sans lien. Ainsi le rôle d’Héraclès dans le combat contre les Géants, fils de la Terre (γηγενέες), [44] est-il souligné au chant I puisqu’Héraclès est le premier à avoir ouvert l’affrontement contre des monstres dont il est dit qu’ils étaient sans doute envoyés par Héra au titre de ses travaux; [45] le héros se trouve toutefois rapidement rejoint par ses compagnons. [46] À l’ouverture du chant II, est ménagé le récit de l’affrontement entre Pollux et Amycos, [47] « qui paraissait être un fils monstrueux du funeste Typhée ou même un de ceux que la Terre en personne enfanta jadis dans sa colère contre Zeus »; [48] si l’allusion aux Géants fait écho au combat mené par Héraclès, la comparaison avec Typhée n’est pas sans annoncer l’épreuve de Jason au chant III, préalable à la conquête de la toison d’or, puisque le dragon qui la garde est né de la Terre et du sang de Typhée. [49] Quant aux adversaires que combat Jason lors de l’épreuve au chant III, ce sont à leur tour des guerriers fils de la Terre, [50] nés des dents du dragon de Thèbes. [51] Si nous ajoutons à ces échos les rapprochements entre l’attitude d’Amycos et celle d’Aiétès, dont l’arrogance est soulignée, [52] nous voyons se tisser une chaîne de héros qui met en relation les épreuves caractéristiques des différents chants. [53] Or la coloration athlétique y est évidemment marquée dans l’affrontement au pugilat qui a lieu entre Pollux et Amycos, et certains détails présentent par anticipation des éléments que nous retrouvons dans l’épreuve de Jason.
C’est au spectacle que nous entraîne dans les deux cas le texte: Pollux et Amycos font asseoir sur la grève Argonautes et Bébryces [54] afin d’assister au combat; les Argonautes rejoignent les Colques dans la plaine d’Arès, où va se jouer l’épreuve de Jason sous le regard de spectateurs qui témoignent de leur crainte ou de leur stupeur, [55] réactions qui donnent un tour plus animé au récit. [56] Avant l’engagement, Pollux dépose le manteau « que lui avait offert en présent d’hospitalité une des Lemniennes » [57] —Amycos déposant de son côté sa double cape sombre [58] —, et Jason marche au combat γυμνός, [59] adjectif sur l’interprétation duquel nous allons revenir. Des assistants se présentent: Castor et Talaos, qui donnent à Pollux les lanières (ἱμάντες) formant l’équipement du pugilat, [60] les Tyndarides remettant à Jason les jougs à poser sur la nuque des taureaux. [61] Quand Pollux paraît, « il est semblable à l’astre du ciel » (ὁ δ’ οὐρανίῳ ἀτάλαντος / ἀστέρι) [62] qui resplendit au crépuscule, et ses yeux sont « éclatants » (φαιδρός) d’une jeunesse que signale le duvet (ἴουλος) qui recouvre son menton. [63] Songeons à Jason qui, drapé dans son manteau émaillé de symboles, s’apprête « tel un astre resplendissant » (φαεινῷ ἀστέρι ἶσος), [64] à paraître devant Hypsipylé, et qui, comme Pollux, porte le duvet caractéristique de son âge. [65] Cette jeunesse n’enlève d’ailleurs rien à la vaillance et à la force (ἀλκὴ καὶ μένος) qui se manifestent à l’épreuve, chez Pollux comme chez Jason, [66] ce qui les pousse à ménager quelques mouvements d’assouplissement, de bras pour Pollux, [67] de jambes pour Jason. [68] Enfin, dans la conclusion de l’affrontement, la présence de l’adverbe γνύξ, qui ponctue la chute finale d’Amycos [69] et celle d’un des taureaux, [70] établit un dernier parallélisme. Il s’agit bien, en effet, dans les deux cas, d’épreuves de force, mais aussi de stratégie. Or, dans le combat entre Pollux et Amycos, les érudits ont pu souligner des éléments d’inspiration homérique avec l’épreuve de pugilat entre Euryale et Épéios dans l’Iliade, [71] et celle qui, de nature improvisée dans l’Odyssée, [72] oppose Ulysse et le mendiant Iros. [73] De fait, il n’est pas fortuit que l’art de l’esquive qui caractérise Pollux soit mis au compte de la μῆτις qui est la marque d’Ulysse. [74] Mais Jason n’est pas lui-même sans partager cette capacité de réflexion qui amène à élaborer des stratégies pour affronter l’épreuve. En effet, lors de la première scène de délibération des Argonautes en territoire colque, sont posées par Jason les alternatives qui se présentent à lui pour tâcher d’emporter la toison: la dérober de force étant une hypothèse d’emblée écartée, Jason garde confiance dans sa capacité de persuasion et la maîtrise de l’art de la parole qui, chez les héros d’Homère, appartiennent en propre à Ulysse. Si toutefois les paroles venaient à échouer, il resterait à décider entre deux possibilités: faire la guerre, ou trouver une autre idée (ἄλλη μῆτις) [75] susceptible d’apporter du secours. Nous savons qu’il n’y aura pas d’affrontement guerrier entre Colques et Argonautes, et que l’idée reviendra en fait pour le héros à assumer un nouveau type d’épreuve, où ne se refuse pas le concours d’une femme, et à adopter la stratégie que cette dernière développera. [76]
Relayée par Pollux, se profile donc pour Jason la figure d’Ulysse. Nous pouvons nous interroger sur les raisons de cette phase d’anticipation. Peut-être la réponse se trouve-t-elle dans le traitement même des épreuves athlétiques d’Ulysse dans l’Odyssée? En effet, le héros assiste aux jeux chez les Phéaciens, auxquels il se refuse d’abord de participer, avant de réaliser, en réponse au défi qui lui a été adressé, un lancer extraordinaire; ses forces semblent donc intactes en vue de l’épreuve finale qui, au chant XXII, voit l’épreuve de l’arc se transformer en massacre des prétendants. [77] Le pugilat improvisé qu’Ulysse, sous les traits d’un mendiant, mène avec succès contre Iros, est une autre phase de bon augure pour l’ultime combat. Le héros d’Homère, dans les deux épisodes agonistiques, dissimule son identité; dans le traitement de l’épreuve de Jason, peut-être Apollonios s’inspire-t-il de ce modèle, tout en réinterprétant le déguisement d’identité d’Ulysse dans le sens de la figure de dédoublement Pollux-Jason. Mais la mise en scène du pugilat mené par Pollux n’a pas seulement pour objet de faire surgir l’image d’Ulysse dans ses exploits athlétiques. Elle ranime aussi, d’une façon toute particulière, le souvenir d’Héraclès, puisque c’est à l’issue de la victoire sur Amycos que les Mariandynes, saluant d’abord Pollux comme un dieu, en viennent à regretter l’absence d’Héraclès. En effet, le roi rappelle à cette occasion, nous l’avons dit, un de ses exploits passés au pugilat, lors des jeux funèbres en l’honneur de Priolas; mais avant cela, l’un des Mariandynes déclare que si Héraclès avait été présent au moment de la rencontre avec Amycos, le pugilat n’aurait même pas eu lieu, un seul coup de massue ayant suffi à mettre un terme à l’arrogance du roi des Bébryces. [78] Or le retrait d’Héraclès permet justement à d’autres de tenter, avec succès, l’épreuve, que ce soit d’abord Pollux, ou ensuite Jason. Que l’on songe effectivement au moment où Aiétès, au chant III, va tout en armes vers la plaine d’Arès pour assister à l’épreuve, ce qui amène le poète à constater que « seul Héraclès aurait pu au combat lui tenir tête. » [79] F. Vian y voit une « constatation réaliste et peu héroïque »; [80] il nous semble à l’inverse que de même que Pollux a su mener avec succès une épreuve qui n’était pas seulement la manifestation de la force brute, [81] il appartient à Jason de conduire l’épreuve à sa manière, qui n’est sans doute pas celle qu’aurait adoptée Héraclès. En effet, sous les traits de ce dernier, ce sont les valeurs héroïques traditionnelles qui surgissent, pour se confronter à de nouvelles valeurs qui se dessinent dans l’épopée d’Apollonios. [82] Il ne s’agit nullement pour Pollux ou Jason de balayer cette figure emblématique, mais d’inscrire la nouveauté dans la tradition. Nous pouvons enfin penser que l’ombre d’Héraclès, qui pèse notamment sur le récit du chant I comme celle du « meilleur, » [83] ranime une figure homérique en lien avec l’univers des jeux. En effet, à l’ouverture des jeux funèbres en l’honneur de Patrocle, Achille affirme sa suprématie, traduction dans l’arène de la prééminence sur le champ de bataille du meilleur des Achéens; [84] s’il se refuse à concourir, c’est en raison des liens qui l’unissent au défunt, mais en adoptant le rôle d’arbitre, il conserve sa supériorité, tout en laissant place libre aux concurrents. Dans les Argonautiques, c’est nettement vers Héraclès que se tournent les Argonautes quand Jason leur demande de choisir le meilleur (τὸν ἄριστον) [85] pour mener l’expédition, mais Héraclès s’adresse à Jason pour lui céder le commandement. [86] Quand Amycos défie les Argonautes, et leur demande de choisir le meilleur [87] pour s’affronter à lui, c’est Pollux qui, devançant le choix de ses compagnons, se porte sans hésitation volontaire. [88] Jason enfin, malgré le caractère insurmontable de l’épreuve présentée par Aiétès, se déclare prêt à l’assumer, avant même d’en faire part à ses compagnons. Avec l’effacement d’Héraclès, que le récit ménage grâce à l’abandon en Mysie, s’ouvre donc pour d’autres héros la possibilité d’assurer le relais en entrant en lice, et en menant à leur manière l’épreuve qui les attend. Sous l’image emblématique d’Héraclès, [89] mais avec également la perspective du modèle d’Ulysse, [90] se façonne ainsi chez Apollonios un nouveau type de héros. Nous savons la place qu’y tiennent les femmes; comment mieux l’illustrer qu’en laissant paraître en images une figure athlétique inattendue?
Le deuxième monologue de Médée fait suite à l’évocation de songes où elle se prend à imaginer que si Jason est venu en Colchide, c’est moins pour ravir la toison que pour l’emmener en Grèce, afin d’en faire son épouse légitime. Emportée par cet élan, la princesse « s’imaginait que pour les taureaux, elle-même menait l’épreuve et sans la moindre peine venait à bout des travaux (ὀίετο δ’ ἀμφὶ βόεσσιν / αὐτὴ ἀεθλεύουσα μάλ’ εὐμαρέως πονέεσθαι). » [91] Médée rêve ainsi qu’elle se substitue à Jason, comme le précise la phrase suivante, indiquant que ses parents se refusent à accorder le mariage, en guise de récompense, [92] car c’est à Jason qu’ils l’ont promis; c’est donc à lui seul qu’il revient de concourir. Or la présence du verbe ἀεθλεύω nous oriente vers la représentation de Médée en « athlète, » rôle qui est réservé aux hommes si l’on suit les occurrences, dans les Argonautiques, d’un verbe qui signale d’une part l’épreuve de pugilat accomplie contre Titias par Héraclès, [93] d’autre part l’épreuve lancée par Pélias [94] ou celle posée par Aiétès [95] qu’assumera Jason. Mis en valeur par l’enjambement, le pronom αὐτὴ marque avec insistance la place que s’attribue Médée dans l’épreuve, se substituant à Jason et renversant ainsi le modèle des jeux pour les prétendants qu’illustre le décor du manteau: de la femme figurée en prix de la lutte, sous les traits d’Hippodamie emportée par Pélops, nous glissons par un jeu d’inversion vers la représentation d’une femme « athlète, » qui prétend remporter en prix de victoire son futur époux. La représentation se poursuit d’ailleurs plus loin lorsqu’est évoquée une querelle naissant entre les Argonautes et ses parents: « C’est à elle (αὐτῇ) qu’ils confiaient dans les deux camps le soin de trancher selon son cœur. » [96] Lancé cette fois en tête de phrase, le pronom ponctue le changement de rôle, Médée semblant passer du titre de concurrente à celui d’arbitre. Quelle que soit la place imaginée, se fait jour en tout cas une inversion des genres qu’Euripide traduit fortement, en adoptant pour Médée des termes militaires qui sont signe de virilité. [97] Nous pouvons également songer à Phèdre qui, emportée par sa passion pour Hippolyte, s’imagine accomplissant les occupations qui sont propres au jeune homme: chasse et entraînement des chevaux pour les courses au gymnase. [98] Mais qu’il s’agisse de Phèdre, ou de Médée chez Apollonios, les participations aux activités viriles demeurent à l’état de songes. Sans doute, en effet, Médée se présente-t-elle dans l’épreuve réalisée par Jason comme une auxiliaire indispensable, et sa participation est à tel point essentielle que la jeune fille n’est pas loin de s’imaginer tenter elle-même l’épreuve. Cette dernière reste toutefois une affaire d’hommes, ce qui permet de construire en faveur de Jason, sur une base traditionnelle, la stature du héros. Peut-être est-ce pour la même raison qu’Atalante—seule femme à avoir participé dans la légende à des jeux—est laissée dans le récit d’Apollonios à l’écart de l’expédition, même si la raison invoquée dans le texte est la crainte de faire naître chez les hommes des conflits amoureux? [99] Notons toutefois que la mention d’Atalante fait immédiatement suite à la description du manteau à valeur programmatique de Jason, un manteau dont il est rappelé qu’il est le présent d’Athéna, [100] comme il est dit pour Atalante qu’elle donna à Jason une lance en présent d’hospitalité. Telle est la lance que prend en main Jason lorsqu’il s’avance au combat au chant III, lance qui représente en quelque sorte la contribution d’Atalante à l’épreuve. La part de Médée dans l’équipement et la préparation du concurrent est toutefois sans commune mesure, en vue d’un épisode qui permet à Jason de faire la preuve de ses vertus héroïques. Ces dernières trouvent traditionnellement à s’exprimer sur différents terrains d’action agonistiques, et nous nous proposons de voir à présent comment la représentation de Jason en athlète, qu’ont préparée les références, épisodes, modèles ou images que nous avons analysés, s’affirme dans l’épreuve.
Le héros nu: Jason à l’épreuve
Si Médée ne joue qu’en rêve le rôle d’athlète ou d’arbitre, elle peut apparaître comme l’entraîneur, ou plus exactement le préparateur physique de Jason. En effet, préalablement à l’épreuve, elle s’applique à faire des recommandations, invitant d’abord Jason à accomplir de nuit un rituel en faveur de la déesse Hécate; précédé d’un bain, le sacrifice sera réalisé par l’Aisonide vêtu d’un manteau noir. [101] Puis elle lui demande d’utiliser ainsi la préparation qu’en magicienne, elle vient de préparer: « Au matin, humecte cette drogue et, tout nu, frottes-en ton corps comme d’un onguent (… μυδήνας τόδε φάρμακον, ἠύτ’ ἀλοιφῇ / γυμνωθεὶς φαίδρυνε τεὸν δέμας). » [102] « Tu auras en toi, ajoute-t-elle, une vaillance (ἀλκή) sans limite et une force (σθένος) immense, » [103] au point de ressembler aux Immortels. [104] Certains ont cru voir dans l’octroi de cette force surnaturelle et invulnérable un signe de dévalorisation du héros dans l’épopée hellénistique, un héros à qui il resterait si peu à accomplir par lui-même. [105] Que l’on songe cependant à tous ceux qui, chez Homère, bénéficient de la faveur divine; citons par exemple Diomède, à qui Athéna insuffle « fougue et audace » (μένος καὶ θάρσος) [106] avant qu’il ne réalise, au chant V de l’Iliade, son aristie, ou Ulysse qui, pour mener à bien le massacre des prétendants, bénéficie de l’aide d’Athéna, [107] en protectrice attitrée, ou bien encore Achille, sur lequel Athéna jette une clarté qui suffit à semer l’épouvante chez les Troyens. [108] Or sans doute Médée donne-t-elle à Jason l’atout d’une préparation physique hors du commun, mais si elle trace les grandes lignes de l’épreuve du labour et de la moisson meurtrière, elle n’apporte pas de précision sur les actions que va mener Jason, dont nous savons seulement par avance qu’il achèvera bien le labour « grâce à ses bras et à son courage (χερσὶ καὶ ἠνορέῃ). » [109] Avec le deuxième substantif, formé sur ἀνήρ, ne penchons-nous pas vers la part humaine qui demeure, pour chaque héros, dans l’accomplissement de l’exploit, d’autant que dans le récit de l’épisode, seules deux très brèves allusions rappellent les recommandations préalables de la magicienne? [110] De fait, la lecture de l’affrontement avec les taureaux témoigne, à travers les précisions apportées, de la valeur physique de Jason dans ce qui est essentiellement une épreuve de force, comme nous l’avons souligné plus haut en la mettant en relation avec le combat entre Pollux et Amycos; de nature nettement pugilistique dans ce dernier cas, l’épreuve s’apparente à la lutte dans le cas de Jason. Aux vers 1306-1313, les verbes d’action traduisent les efforts déployés, dans un jeu de tractions, de poussées, et de coups assénés pour entraîner la chute. [111] Notant qu’Apollonios emprunte là au vocabulaire de la lutte, F. Vian établit des rapprochements avec des vers utilisés par Homère pour décrire la lutte qui, dans les jeux funèbres en l’honneur de Patrocle, voit s’affronter Ajax et Ulysse; [112] ce sont les efforts déployés par ce dernier pour faire chuter l’adversaire qui s’apparentent à ceux de Jason qui parvient à faire tomber à terre les bêtes. Or, au-delà de similitudes lexicales, nous retrouvons ici, à notre sens, un nouvel élément qui contribue au rapprochement entre Ulysse et Jason. Le coup du lancer de pierre, utilisé, conformément aux prescriptions de Médée, [113] dans l’affrontement avec les fils nés de la Terre, alimente encore la comparaison. En effet, pour cette pierre qui est désignée comme « terrible disque d’Arès Enyalos (δεινὸν Ἐνυαλίου σόλον Ἄρεος), » [114] il est dit que « quatre hommes en pleine force n’auraient pu la soulever, même d’un pouce. » [115] Certains érudits mettent cette précision en relation avec des évaluations similaires pour des lancers accomplis par des héros dans les combats de l’Iliade; [116] d’autres toutefois se souviennent du lancer extraordinaire accompli par Ulysse dans les jeux chez les Phéaciens: [117] la pierre qui lui sert de disque (δίσκον) est là aussi plus lourde que celles utilisées précédemment par les Phéaciens, [118] ce qui lui vaut de la part d’Athéna, une fois l’exploit réalisé, des félicitations appuyées. À ranimer ainsi des références homériques, Apollonios inscrit les actions de Jason dans un univers athlétique, dont Ulysse est un des acteurs les plus souvent convoqués. Mais Jason ne se contente pas d’être un athlète par procuration; il porte en lui la marque la plus caractéristique du genre: la nudité. [119]
Quand il entre dans l’espace sur lequel doit s’accomplir le terrible labour, Jason paraît ainsi:
Αἰσονίδης δ’, ὅτε δὴ πρυμνήσια δῆσαν ἑταῖροι,
δή ῥα τότε ξὺν δουρὶ καὶ ἀσπίδι βαῖν’ ἐς ἄεθλον,
νηὸς ἀποπροθορών, ἄμυδις δ’ ἔχε παμφανόωσαν
χαλκείην πήληκα, θοῶν ἔμπλειον ὀδόντων,
καὶ ξίφος ἀμφ’ ὤμοις, γυμνὸς δέμας, ἄλλα μὲν Ἄρει
εἴκελος, ἄλλα δέ που χρυσαόρῳ Ἀπόλλωνι. [120]
δή ῥα τότε ξὺν δουρὶ καὶ ἀσπίδι βαῖν’ ἐς ἄεθλον,
νηὸς ἀποπροθορών, ἄμυδις δ’ ἔχε παμφανόωσαν
χαλκείην πήληκα, θοῶν ἔμπλειον ὀδόντων,
καὶ ξίφος ἀμφ’ ὤμοις, γυμνὸς δέμας, ἄλλα μὲν Ἄρει
εἴκελος, ἄλλα δέ που χρυσαόρῳ Ἀπόλλωνι. [120]
L’Aisonide, une fois les amarres détachées par ses compagnons, avec sa lance et son bouclier marchait déjà vers l’épreuve; il avait aussi en main son casque de bronze étincelant, empli de dents aiguës et son épée, attachée à ses épaules. Le corps nu, il ressemblait par certains aspects à Arès, par d’autres sans doute à Apollon, le dieu au glaive d’or.
L’ordonnance du texte ménage, dans cette entrée en piste, un effet d’apparition. En effet, dans les recommandations de Médée, nous avons vu que la nudité était signalée sous la forme d’un participe apposé: « humecte cette drogue et, tout nu (γυμνωθείς), frottes-en ton corps comme d’un onguent, » [121] mais telles que les choses sont formulées, il n’est que trop naturel de se dénuder pour procéder à l’onction. Trois vers plus loin, ce sont les armes: lance, bouclier, épée, qu’il est demandé d’enduire. [122] Si nous passons à présent au récit qui décrit la mise en application par Jason des prescriptions reçues, nous observons qu’il est bien plus long, que le poète se plaise à développer des détails, [123] ou qu’il y insère les descriptions de nouvelles scènes. Si, en effet, Médée fait immédiatement suivre l’évocation du sacrifice à Hécate de celle de l’onction, lors de la réalisation, en revanche, les deux opérations se trouvent entrecoupées par la description des préparatifs d’Aiétès, qui gagne le terrain de l’épreuve après s’être équipé comme un guerrier; [124] la comparaison avec Poséidon, s’avançant sur son char pour rejoindre les jeux qu’il préside, [125] retarde d’autant la poursuite de la narration. Notons d’ailleurs que l’image contribue à inscrire l’épreuve dans un contexte athlétique. Nous poursuivons, après cette interruption, la préparation physique de Jason, que relance la formule « conformément aux instructions de Médée. » [126] Pourtant, une variation est introduite, Jason enduisant d’abord ses armes; [127] la préparation du corps est ainsi mise en attente, et retardée par l’introduction d’une scène où les compagnons de Jason éprouvent les armes, en tentant vainement de les faire plier. [128] Vient ensuite seulement l’onction du corps, qui se trouve ainsi mise en valeur. Or, en parallèle de la scène où sont testées les armes, l’onction du corps est suivie d’une description du changement qui s’opère sur la force de Jason, et s’illustre sous la forme d’une comparaison avec un cheval de guerre [129] débordant de vigueur, puis d’une comparaison avec un éclair. La première comparaison apparaît comme le pendant de celle qui est développée pour Aiétès, et combine, dans une présentation inversée, contextes guerrier et athlétique: le roi des Colques, s’avançant sous l’apparence d’un guerrier, est comparé à un maître des jeux; le chef des Argonautes va entrer en lice, le corps apprêté comme le ferait un athlète qui s’est enduit d’huile, et ressemble à un cheval de guerre. Enfin, l’ancrage athlétique marqué par la comparaison avec Poséidon est redoublé par l’évaluation de la plaine d’Arès que rejoignent rapidement les Argonautes: la plaine se trouve à la même distance de leur lieu d’ancrage « que celle qui sépare la barrière de départ de la borne qu’un char doit atteindre, quand, à la mort d’un roi, ses proches offrent des prix pour les courses à pied et en char. » [130] S’il n’est pas, dans les Argonautiques, d’épisode de jeux funèbres dans lequel s’illustrerait le héros principal, cette évaluation de distance, qui renvoie sans conteste à des références iliadiques, [131] et se situe dans le prolongement des comparaisons que nous avons notées, donne un tour athlétique à l’épreuve qui va se jouer. L’apparition de Jason, ainsi préparée, prend dès lors un sens particulier, le groupe γυμνὸς δέμας, [132] détaché du verbe principal par la parenthèse sur les armes, retenant l’attention. [133] L’explication qui en est souvent donnée: la référence à la tenue du laboureur, [134] s’inspire de la nature de la tâche que va entreprendre le héros; elle néglige toutefois la construction du récit qui précède, et les signes qui y sont déposés par le poète. De plus, la comparaison avec Arès et Apollon qui s’enchaîne à l’expression γυμνὸς δέμας, confirme la valeur symbolique. Lors du départ de l’expédition, Jason, en traversant la foule, se trouve d’ailleurs déjà comparé à Apollon quittant son temple pour parcourir les pays qui sont attachés à sa légende. [135] Pas d’allusion athlétique cependant, dans ce rapprochement, alors que la mention au chant III fait référence à un passage de la quatrième Pythique de Pindare, [136] qui est incontestablement en lien avec l’univers des concours. Dans cette ode triomphale, en effet, sont reproduites en ces termes les interrogations formulées par la foule, qui voit un inconnu s’avancer dans la cité de Pélias:
Ce n’est sans doute pas là Apollon, pas plus assurément que l’époux au char d’airain d’Aphrodite.
Tout en repoussant, dans cette expression, l’identification avec les divinités, la comparaison est sous-jacente; d’ailleurs, la précision qui est apportée, quelques vers plus haut, sur l’apparence de Jason, qui n’avait pas laissé couper les boucles de sa chevelure, [138] signale un trait qui est caractéristique d’Apollon, et que nous trouvons indiqué nettement par Apollonios dans un passage du chant II, [139] intéressant également à un autre titre. Il y est, en effet, rappelé qu’au pied du mont Parnasse, Apollon tua de ses flèches le monstrueux Delphynès; « il était encore un tout jeune garçon nu (κοῦρος ἐὼν ἔτι γυμνός), tout heureux encore de ses cheveux bouclés. » [140] L’adjectif γυμνός est-il là synonyme d’ἄνηβος comme le précisent une scholie et Hésychius, ou fait-il référence au type de la statuaire du kouros? La lecture des commentaires présente les deux interprétations. [141] Quoi qu’il en soit, à regarder les occurrences de l’adjectif dans les Argonautiques, nous notons qu’il n’est employé qu’à deux reprises pour qualifier une personne, au chant II pour Apollon, au chant III pour Jason, ce qui renforce l’assimilation avec le dieu, qu’il apparaisse dans ses attributs athlétiques ou guerriers. Dans l’évocation du meurtre de Delphynès, c’est en effet sous ses traits violents que se manifeste Apollon, comme nous l’avions observé dans une des scènes décorant le manteau de Jason, avec le meurtre du géant Tityos. [142] Au moment d’aborder l’épreuve, Jason bénéficie d’une double comparaison qui souligne ses qualités agonistiques: Apollon, tout en présidant à l’espace des jeux, n’est pas sans lien avec les luttes guerrières, dont Arès est évidemment la divinité attitrée. Remarquons que dans la plaine d’Arès, la présence de toute femme, y compris Médée, est écartée; [143] ainsi se trouve préservé un espace viril conforme à la tradition, dans lequel s’avance le héros qui, sous les traits de l’athlète ou du guerrier, va pouvoir témoigner de ses vertus, et se dévoiler. Cette mise à nu est, à notre sens, un dernier élément qui contribue à rapprocher Jason et Ulysse.
Dès Homère, se fait jour cette nudité qui sera caractéristique de la pratique athlétique. Ainsi, dans l’épreuve de lutte entre Ajax et Ulysse aux jeux funèbres en l’honneur de Patrocle, est-il précisé que les adversaires se ceinturent (ζωσαμένῳ) [144] avant l’épreuve, et lors du combat au poing qui met face à face Ulysse et Iros, est apportée la même précision. [145] Que les athlètes aient pratiqué entièrement nus les exercices, ou qu’ils aient porté une ceinture (ζῶμα), a beaucoup donné à réfléchir aux spécialistes, confrontés aux difficultés d’interprétation des témoignages littéraires et iconographiques. [146] Notre propos n’est pas toutefois de rouvrir ici le débat; en effet, que l’adjectif γυμνός qualifie un homme complètement nu ou très peu vêtu, il signe bien la marque des athlètes. Or, au moment de l’ultime affrontement engagé par Ulysse, lorsque l’épreuve du tir à l’arc tourne au massacre des prétendants, le héros accompagne la révélation de son identité d’une mise à nu: αὐτὰρ ὁ γυμνώθη ῥακέων πολύμητις Ὀδυσσεύς. [147] Aussi pouvons-nous penser qu’avec ce modèle à l’esprit, Apollonios ménage pour Jason l’attente de l’épreuve décisive, où il affiche ses qualités et, sous l’image de la mise à nu, révèle véritablement le héros qu’il est, quand bien même Pollux, dans le pugilat contre Amycos, a déjà témoigné de talents athlétiques prometteurs. Dans l’Odyssée, c’est Ulysse lui-même, sous une identité toutefois dissimulée, qui apporte ce signe de confiance, que ce soit lors de sa participation aux jeux des Phéaciens, ou lors du pugilat contre Iros. Il porte en lui d’ailleurs, malgré les atteintes physiques dues aux combats ou aux errances sur mer, les marques d’une valeur toujours présente, comme le constate Laodamas [148] ou le traduit la réaction d’admiration des prétendants. [149] Or la déesse Athéna n’est pas sans avoir participé à cette mise en forme: pour l’arrivée chez les Phéaciens, elle a versé sur Ulysse une « grâce divine » (θεσπεσίην … χάριν), [150] le faisant paraître plus grand et plus fort pour séduire les Phéaciens et gagner aux jeux leur respect; [151] avant que le héros n’affronte Iros, elle a augmenté la vigueur de ses membres. [152] La préparation physique que réalise en faveur de Jason la prêtresse d’Hécate, dotée des pouvoirs de magicienne, peut conserver la trace des transformations opérées par Athéna. Toutefois, à la différence de cette dernière, Médée n’assiste pas à la métamorphose de Jason, car une fois les recommandations faites à Jason au temple d’Hécate, et les drogues remises, Médée regagne le palais, et n’interviendra plus dans le récit jusqu’au chant IV. [153] À celle qui s’était rêvée athlète ou arbitre, il n’est même pas accordé d’être spectatrice de son œuvre. Athéna assiste en revanche non seulement aux épreuves, mais aussi y participe parfois, comme lors du massacre des prétendants: bien que soucieuse de laisser aux héros le soin de « faire la preuve de leur force et de leur vaillance » (σθένεός τε καὶ ἀλκῆς πειρήτιζεν), [154] elle intervient à deux reprises pour détourner les piques des adversaires. [155] Il s’agit toutefois d’une déesse, alors que la passion amoureuse qui submerge Médée accentue sa part mortelle, et justifie sa mise à l’écart d’un espace agonistique réservé aux hommes. Elle ne pourra donc pas contempler, dans le héros paraissant nu, l’objet de sa transfiguration. Mais une femme, dans une épopée, le pourrait-elle? Songeons, en effet, à Nausicaa, dont les liens avec Médée ont été analysés par les érudits. [156] Quand Ulysse surgit nu (γυμνός) [157] des flots, son corps, qui porte les stigmates des tempêtes essuyées, suscite l’horreur chez les Phéaciennes, qui s’écartent aussitôt. Seule Nausicaa reste là pour entendre la supplication d’Ulysse, [158] mais elle ne le regardera, à proprement parler, que lorsqu’il se sera baigné et se sera vêtu. Athéna, d’ailleurs, aura une nouvelle fois ajouté sa pâte, puisqu’elle le fait paraître plus grand et plus fort, et le fait resplendir de grâce et de beauté. [159] Rêvant d’avoir un tel homme pour époux, Nausicaa le comparera, ainsi transformé, à un dieu; [160] Médée, elle, donne à Jason de quoi transcender sa force, au point de le faire ressembler aux Immortels. [161] Le spectacle de la nudité ne lui sera pas toutefois ouvert, pas plus que Nausicaa n’observe Ulysse dévêtu, le charme du héros opérant sans qu’il soit besoin d’en voir plus. Ainsi est-il laissé à imaginer ce que serait le pouvoir érotique d’un corps nu.
Thèmes, images, expressions trahissent amplement, chez Apollonios, l’inspiration homérique, mais le poète, émaillant avec subtilité son texte de références archaïques, tisse une trame qui, sur fonds de tradition, laisse place à la mise en forme d’un nouveau type de héros. Aussi ne devons-nous pas nous étonner de ne pas voir, dans les Argonautiques, de ces exemples de réécriture de séquences athlétiques que nous lisons chez d’autres poètes. L’athlète, en Jason, n’est cependant pas mort: préalablement porté par Pollux, il revit lors de la geste du héros, ranimant d’illustres figures homériques. En effet, si Achille se signale comme l’athlète par excellence, tout comme il est le meilleur des Achéens, il revient à Ulysse, dans l’Iliade comme dans l’Odyssée, de descendre véritablement dans l’arène, dans des contextes variés, pour y manifester ses qualités. À ménager des liens avec lui, Apollonios offre à son héros le plus beau des modèles.
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Footnotes
[ back ] 1. Iliade XXIII 257–897; Odyssée viii 110–255.
[ back ] 2. Le texte de référence sera celui de Fränkel 1961; nous indiquerons les passages où nous adoptons la traduction de Delage dans l’édition Vian 1974–1981 (2ème édition 1993).
[ back ] 3. Argonautiques I 15 (voir aussi Argonautiques II 411: ἀέθλων … ναυτιλίης).
[ back ] 4. Argonautiques I 32, 255, 362, 414, 442, 469, 841, 903.
[ back ] 5. Argonautiques II 423–425. Tiphys, lors du passage des Symplégades, rappelle le succès à venir prédit par Phinée (Argonautiques II 617–618).
[ back ] 6. « La mise à l’essai de ta force et de ta vaillance sera l’épreuve que moi-même je surmonte de mes mains, toute terrible qu’elle est» (πεῖρα δέ τοι μένεός τε καὶ ἀλκῆς ἔσσετ’ ἄεθλος / τόν ῥ’ αὐτὸς περίειμι χεροῖν, ὀλοόν περ ἐόντα, Argonautiques III 407–408).
[ back ] 7. … βαῖν’ ἐς ἄεθλον, Argonautiques III 1279; τῷ τετελεσμένος ἦεν ἄεθλος, Argonautiques III 1407.
[ back ] 8. … ξὺν δουρὶ καὶ ἀσπίδι βαῖν’ ἐς ἄεθλον, Argonautiques III 1279.
[ back ] 9. Ces qualités athlétiques se trouvent rehaussées par les comparaisons de ce type dans le cours de la prestation (voir infra): Argonautiques III 1240–1245; 1271–1274.
[ back ] 10. Argonautiques IV 851–852 (voir Iliade II 773–775).
[ back ] 11. Argonautiques I 1059–1062.
[ back ] 12. Argonautiques I 1304.
[ back ] 13. Argonautiques II 780–785.
[ back ] 14. Argonautiques I 997, 1318, 1347.
[ back ] 15. Pour un recensement et une analyse de ces documents, voir Roller 1981, et pour le plus connu, à savoir le coffre de Kypsélos, on en trouvera mention dans la notice de Vian 1974:XXXI–XXXIV, qui présente les divers témoignages sur la légende des Argonautes.
[ back ] 16. Stésichore, fr. 178–180 Page. Voir Athénée IV 172e et Roller 1981:107n2.
[ back ] 17. Voir Roller 1981:111–112.
[ back ] 18. Sur cet épisode athlétique singulier, voir les témoignages présentés par Scanlon 2002:175–198.
[ back ] 19. Argonautiques I 769–773.
[ back ] 20. Pythiques IV 252–253. Sur le témoignage de Pindare, voir la notice de Vian 1974:XXXIV–XXXVI.
[ back ] 21. Quintus de Smyrne, Suite d’Homère IV; Nonnos de Panopolis, Dionysiaques XXXVII.
[ back ] 22. Argonautiques IV 1770–1773.
[ back ] 23. Argonautiques IV 1776–1777.
[ back ] 24. Argonautiques III 536, 906, 942, 1211 …
[ back ] 25. Argonautiques III 558–563. Sur ce thème essentiel de l’amour qui modèle un nouveau type de héros épique, voir Zanker 1979.
[ back ] 26. La couleur du vêtement doit sans doute être mise en relation avec celle de la toison (cf. Vian 1974:84n1).
[ back ] 27. Argonautiques I 721–767; Iliade XVIII 468–606; Hésiode Le Bouclier 139–324. La mise en relation de ces descriptions, signalée par Vian 1974:84n2, est l’objet d’analyse de l’article de Laizé 1997–1998.
[ back ] 28. Outre l’article de Laizé 1997–1998, nous signalerons des remarques de cet ordre exprimées par Hurst 2012:86–87 ou Daniel-Müller 2012:104.
[ back ] 29. Argonautiques I 752–758. Notons que l’épisode de la course de chars est un des éléments du mythe de Pélops développé par Pindare dans la première Olympique (Ol. I 67–89).
[ back ] 30. Voir Scanlon 2002:223–226.
[ back ] 31. Argonautiques IV 209–210.
[ back ] 32. Le Bouclier 273–276.
[ back ] 33. Le Bouclier 301–313.
[ back ] 34. Iliade XVIII 491–493.
[ back ] 35. Argonautiques I 742–746.
[ back ] 36. Laizé 1997–1998:105 y décèle une mise en image du détournement de la fonction guerrière, mais l’image, qui se trouve incrustée dans l’espace guerrier, rend plutôt compte, à notre sens, d’un participant au combat d’un nouveau genre.
[ back ] 37. Argonautiques I 750–751.
[ back ] 38. Argonautiques III 1391–1392. Il s’agit, selon Laizé 1997–1998:105–106, d’une brutale et inhabituelle inversion que cette intrusion de la violence dans une scène pastorale; il nous semble plutôt y avoir là un signe annonciateur.
[ back ] 39. Argonautiques III 759–762. Dans Le Bouclier, Apollon est mentionné mais au centre du chœur des Immortels, aux côtés des Muses, dans sa fonction poétique (v. 201–206).
[ back ] 40. Voir Vian 1974:3–4.
[ back ] 41. Argonautiques III 1283.
[ back ] 42. Argonautiques I 722–724.
[ back ] 43. Pour décider Médée à l’aider dans une épreuve qu’il ne saurait surmonter sans sa contribution, Jason rappelle le souvenir d’Ariadne, grâce à laquelle Thésée fut sauvé de ses épreuves (voir le parallélisme établi notamment au chant III 988–989 et 997–998). Notons qu’Ariadne est mentionnée dans la description du bouclier d’Achille, à propos d’une place de danse comparable à celle que Dédale fit bâtir en l’honneur de la jeune fille pour l’aide qu’elle apporta à Thésée (Iliade XVIII 590–593); quand bien même l’ecphrasis est connue d’Apollonios, la légende est assez répandue pour que le parallélisme établi par le poète entre Ariadne-Thésée et Médée-Jason ne soit pas exclusivement dépendant de cette inspiration.
[ back ] 44. Argonautiques I 985–1011.
[ back ] 45. Argonautiques I 995–996.
[ back ] 46. Argonautiques I 988 sq.
[ back ] 47. Argonautiques II 1–97.
[ back ] 48. Argonautiques II 38–40 (traduction Delage 1974).
[ back ] 49. Argonautiques II 1208–1215 et IV 151.
[ back ] 50. γηγενέες (Argonautiques III 1338, 1347, 1355, 1380, 1391). Ces adversaires identiques que sont les fils de la Terre contribuent aux rapprochements établis entre Jason et Héraclès par Kouremenos 1996:235–237.
[ back ] 51. Argonautiques III 1176–1187.
[ back ] 52. Voir Hunter 1993:23.
[ back ] 53. Dans la notice du chant II, Vian 1974:136 rapproche ainsi les épisodes: à l’ἆθλον héracléen contre les fils de la Terre, que suit l’engagement contre les Dolions, répond l’ἆθλον de Pollux, suivi du combat contre les Bébryces, deux épreuves qui sont l’illustration des vertus héroïques traditionnelles avant le passage des Symplégades, à partir duquel « le succès dépendra de tout autre chose. » C’est omettre cependant, dans cette présentation, l’épreuve de Jason, et le lien ménagé entre les trois épisodes.
[ back ] 54. Argonautiques II 35.
[ back ] 55. Argonautiques III 1293, 1316, 1370–1373.
[ back ] 56. À rapprocher des réactions des spectateurs qu’Homère se plaît à rapporter dans les jeux funèbres (Iliade XXIII 448–498, 784, 847, 881).
[ back ] 57. Argonautiques II 31–32.
[ back ] 58. Argonautiques II 32–34.
[ back ] 59. Argonautiques III 1282.
[ back ] 60. Argonautiques II 62–64.
[ back ] 61. Argonautiques III 1314–1316.
[ back ] 62. Argonautiques II 40–41.
[ back ] 63. Argonautiques II 43–44.
[ back ] 64. Argonautiques I 774.
[ back ] 65. Argonautiques I 972.
[ back ] 66. Argonautiques II 44–45; Argonautiques III 407. Les termes ἀλκή (III 1043, 1256, 1351) et σθένος (III 1307, 1314) soulignent à plusieurs reprises l’épreuve de force accomplie par Jason.
[ back ] 67. Argonautiques II 45–47.
[ back ] 68. Argonautiques III 1350.
[ back ] 69. Argonautiques II 96. À propos du combat entre Pollux et Amycos, Knight 1995:70 note que l’adverbe n’est pas utilisé par Homère dans ses descriptions de combat de nature pugilistique, mais elle ne mentionne pas la reprise de γνύξ dans l’épreuve de Jason contre les taureaux.
[ back ] 70. Argonautiques III 1310.
[ back ] 71. Iliade XXIII 653–699.
[ back ] 72. Odyssée xviii 1–114.
[ back ] 73. Voir notamment Knight 1995:62–73.
[ back ] 74. Argonautiques II 75–76.
[ back ] 75. Argonautiques III 183–184.
[ back ] 76. C’est sous le terme μῆτις qu’Héra et Athéna présente, en ouverture du chant III, le projet qui consiste à faire intervenir Médée (Argonautiques III 34, 40); c’est avec le même terme que Chalkiopé sollicite l’aide de sa sœur, comptant sur une idée pour préserver ses fils (Argonautiques III 720); c’est enfin en usant de la forme verbale (μητίσομ’, Argonautiques III 1026), que Médée présente son plan à Jason.
[ back ] 77. Sur la valeur préparatoire et symbolique pour Ulysse des épreuves chez les Phéaciens, voir Visa-Ondarçuhu 1994 et 1999:64–70.
[ back ] 78. Argonautiques II 144–153.
[ back ] 79. Argonautiques III 1234.
[ back ] 80. Vian 1993:102n4.
[ back ] 81. Argonautiques II 70–78 (cf. Vian 1974:102n5).
[ back ] 82. Sur cette redéfinition de l’héroïsme, voir par exemple Vian 1963, Clauss 1993.
[ back ] 83. Sur cette influence d’Héraclès, voir Vian 1974:42–43.
[ back ] 84. Voir Visa-Ondarçuhu 1999:62–64. Pour une étude d’ensemble sur le meilleur des Achéens, se reporter à l’ouvrage de Nagy 1979.
[ back ] 85. Argonautiques I 338.
[ back ] 86. Argonautiques I 345–347. Sur ce relais opéré au chant I pour une redéfinition du « meilleur », voir Clauss 1993.
[ back ] 87. Argonautiques II 15.
[ back ] 88. Argonautiques II 19–24.
[ back ] 89. L’image en contrepoint d’Achille dans les Argonautiques est d’autant plus probable que le héros est cité à deux reprises: Argonautiques I 557–558 et IV 811–815; dans la deuxième référence, il est d’ailleurs dit qu’il est destiné à être l’époux de Médée.
[ back ] 90. Notons que dans les jeux chez les Phéaciens, Ulysse s’incline devant la supériorité d’Héraclès (Odyssée viii 223–225), ce qui témoigne là aussi du poids de modèles héroïques, mais aussi des marges de variation permettant de nuancer les divers types de héros; à chaque poème épique sa version de l’héroïsme, souligne ainsi Finkelberg 1995: Achille dans l’Iliade, dans l’Odyssée, Ulysse, qui se rapproche d’Héraclès par la nature des épreuves endurées.
[ back ] 91. Argonautiques III 623–624.
[ back ] 92. Cette interprétation du vers 625 est soulignée par Vian 1993:129 et Hunter 1989:165.
[ back ] 93. Argonautiques II 783.
[ back ] 94. Argonautiques I 362.
[ back ] 95. Argonautiques III 480 et 773.
[ back ] 96. Argonautiques III 628–629.
[ back ] 97. Sur ces singularités lexicales, voir Moreau 1994:194–196.
[ back ] 98. Euripide Phèdre 215–231. Daniel-Müller 2012:116–117n96 ne fait référence qu’aux vers 215–222, et donc à la chasse, alors qu’Hunter, dans son commentaire aux vers 616–632, cite les exercices pour dompter les chevaux (Hunter 1989:164).
[ back ] 99. Argonautiques I 769–773. D’autres auteurs la comptent cependant au nombre des Argonautes (cf. Vian 1974:86n1).
[ back ] 100. Argonautiques I 768; il s’agit de la reprise d’une précision donnée en préalable à la description (Argonautiques I 722–724).
[ back ] 101. Argonautiques III 1027–1041.
[ back ] 102. Argonautiques III 1042–1043 (traduction Delage 1981).
[ back ] 103. Argonautiques III 1043–1044.
[ back ] 104. Argonautiques III 1045.
[ back ] 105. La théorie de l’anti-héros a été tout particulièrement développée par Lawall 1966, bien que les études ultérieures aient conduit à nuancer le propos, Jason apparaissant moins comme un anti-héros que comme un héros d’un autre type; le chant III apporterait pour Vian un élément essentiel à la construction de l’identité du héros (cf. Vian 1993:32–38, ou encore Hunter 1993:8–15, Clauss 1993, Cusset 2001 …).
[ back ] 106. Iliade V 2.
[ back ] 107. Odyssée xxii 256, 273.
[ back ] 108. Iliade XVIII 203–214.
[ back ] 109. Argonautiques III 1053.
[ back ] 110. Argonautiques III 1246 (avant l’onction); Argonautiques III 1363–1364 (avant le jet de pierre).
[ back ] 111. ἐρύσσας εἶλκεν; πελάσσῃ; κάββαλεν; κρούσας; σφῆλε; βεβολημένον.
[ back ] 112. Iliade XXIII 700–739 (voir Vian 1993:106n3; le rapprochement est aussi fait dans le commentaire d’Hunter 1989).
[ back ] 113. Argonautiques III 1057.
[ back ] 114. Argonautiques III 1366.
[ back ] 115. Argonautiques III 1366–1367 (traduction Delage 1981).
[ back ] 116. Diomède, Enée, Hector (pour les références au texte homérique, voir Vian 1981:108n5; Hunter 1989:250).
[ back ] 117. Knight 1995:106, 242; Hunter 1989:250–251 en commentaire des vers 1365–1367 et 1372, où il signale que le terme σόλον utilisé ici renvoie à la sphère athlétique puisqu’il est employé dans l’évocation de jeux de divertissement dans les Argonautiques IV 851.
[ back ] 118. Odyssée viii 186–188.
[ back ] 119. Qu’un débat se soit ouvert sur la nature de cette nudité, complète ou partielle, ne diminue en rien cette marque du genre athlétique, que nous trouvons mise en avant dans les ouvrages sur le sport athlétique ou des articles portant particulièrement sur ce sujet (voir par exemple Crowther 1982; Golden 1998:65–69; Thuillier 1988, 2004; Visa-Ondarçuhu 1999:249–251; Scanlon 2002:205–210 …).
[ back ] 120. Argonautiques III 1278–1283.
[ back ] 121. Argonautiques III 1042–1043 (traduction Delage 1981).
[ back ] 122. Argonautiques III 1046–1047.
[ back ] 123. Sur le bain et le sacrifice à Hécate, on comparera Argonautiques III 1030–1041 et III 1191–1224.
[ back ] 124. Argonautiques III 1225–1245 (pour cette scène d’armement, voir les échos homériques signalés dans les commentaires de Vian 1993 et Hunter 1989, ainsi que dans les ouvrages de Knight 1995:102–103 et de Cusset 1999:277–280).
[ back ] 125. Argonautiques III 1240–1245.
[ back ] 126. Argonautiques III 1246.
[ back ] 127. Argonautiques III 1246–1247.
[ back ] 128. Argonautiques III 1248–1255.
[ back ] 129. Pour les échos homériques dans cette comparaison, voir les précisions apportées par Cusset 1999:151–154.
[ back ] 130. Argonautiques III 1272–1274 (traduction Delage 1981).
[ back ] 131. Le terme νύσσα employé ici pour désigner la borne est aussi celui qui marque, dans l’épreuve des jeux funèbres, l’étape de retour de la course (Iliade XXIII 332). Pour des métaphores athlétiques qui, chez Homère, donnent des évaluations de distance, voir Visa-Ondarçuhu 1999:50–52, notamment l’image d’Achille poursuivant Hector comme des chevaux contournant la borne (Iliade XXII 158–164).
[ back ] 132. Argonautiques III 1282.
[ back ] 133. L’accent mis sur la nudité du héros est propre à Apollonios, car nous ne la trouvons pas signalée dans l’épopée de Valérius Flaccus, qui s’inspire pourtant amplement de l’épopée hellénistique.
[ back ] 134. En commentaire de ce vers, Vian 1961 précise que l’adjectif doit s’entendre littéralement, i.e. « sans armure, » ce qu’il reprend dans son édition du texte (Vian 1981), en l’accompagnant de la référence au laboureur. C’est cette assimilation qui est au cœur de l’article de Laury-Nuria 2012 sur la figure du héros paysan. En lançant enfin l’hypothèse d’une allusion à la pyrrhique, Hunter ouvre un angle nouveau, celui d’une danse en guise d’entraînement à la guerre (Hunter 1989:238–239). L’ancrage militaire s’en trouverait certes conforté, mais la connotation athlétique doit, à notre sens, être mise en exergue.
[ back ] 135. Argonautiques I 307–311.
[ back ] 136. La référence est signalée par les commentateurs (voir par exemple Vian 1993 et Hunter 1989).
[ back ] 137. Pythiques IV 87–88.
[ back ] 138. Pythiques IV 82.
[ back ] 139. Argonautiques II 708–710.
[ back ] 140. Argonautiques II 707–708 (traduction Delage 1975).
[ back ] 141. Voir Vian 1974 et Hunter 1989. Quand on évoque le type du kouros, on sait combien il est essentiel au développement de la statuaire athlétique (sur ces représentations, voir l’étude de Rausa 1994).
[ back ] 142. Argonautiques I 759–762. Notons que Tityos est également cité par Pindare comme un de ceux auxquels les gens pourraient être tentés de comparer Jason (Pythiques IV 90–93).
[ back ] 143. Peut-être n’est-ce pas sans raison que la périphrase employée par Pindare: « l’époux d’Aphrodite » est effacée au profit de la dénomination d’« Arès » par Apollonios, qui rompt ainsi le lien avec la femme déesse?
[ back ] 144. Iliade XXIII 685 et 710.
[ back ] 145. Ζώσατο (Odyssée xviii 67).
[ back ] 146. Voir par exemple Mac Donnell 1991, Thuillier 1988, 2004 …
[ back ] 147. Odyssée xxii 1.
[ back ] 148. Odyssée viii 134–139.
[ back ] 149. Odyssée xviii 71.
[ back ] 150. Odyssée viii 19.
[ back ] 151. Odyssée viii 20–23.
[ back ] 152. Μέλε’ ἤλδανε, Odyssée xviii 70.
[ back ] 153. Argonautiques III 1163.
[ back ] 154. Odyssée xxii 237.
[ back ] 155. Odyssée xxii 256, 273.
[ back ] 156. Voir par exemple Knight 1995:224–244; Pérez-López 2000.
[ back ] 157. Odyssée vi 136.
[ back ] 158. Odyssée vi 149–197.
[ back ] 159. Odyssée vi 230–237 ; à rapprocher d’Odyssée viii 20.
[ back ] 160. Odyssée vi 243–246.
[ back ] 161. Argonautiques III 1045.